Après un report de date de leur concert initial, prévu désormais en avril 2022, Amenra a réalisé à la place un live acoustique le 5 octobre 2021 dernier à l’Étage de Rennes. Ils étaient accompagnés de deux guests : Brieg Guerveno (Bretagne) et The Devil’s Trade (Hongrie) mené par Dávid Makó, seul au commande du projet.
Le rendez-vous est donné : les rennais/rennaises baigneront dans une atmosphère mélancolique tout au long de la soirée.
C’est Dávid Makó qui ouvre la danse avec sa dark folk. Il se tient droit sur scène, posté sous une lumière unique, blanche et perçante qui l’isole, comme un barrage au désespoir. Son banjo, il le maintient fermement face à lui créant ainsi une ombre anormale de son visage. De longues secondes s’écoulent avant que le son lourd et planant de l’introduction ne vienne embrasser la salle. Le set s’annonce triste, comme un lointain appel depuis les forêts solitaires hongroises.
Le set est épuré : la voix est uniquement accompagnée d’un banjo parfois troqué avec une guitare folk. La voix graveleuse du chanteur flotte au-dessus de nous avant de chuter lourdement à chaque mesure. Les paroles sont caractérisées par la tonalité très pesante de la musique : suicide, souffrance, et autres thématiques de la noirceur de l’âme humaine y sont abordées. Il semble toucher ses profondeurs, tant par les mots que par les accords subtils, disséminés en petit nombre, enfonçant toujours un peu plus les portes de la mélancolie.
Les applaudissements sont nombreux, le chanteur hongrois semble avoir conquis le public.
Brieg Guerveno entre ensuite en scène accompagné par la violoncelliste Bahia el Bacha. Le duo fonctionne à merveille, ils sont discrets et semblent avoir une belle compassion entre eux. Le climat est plus tendre, plus léger, moins morose. Le breton chante dans sa langue originelle et la musique est un appel au voyage, à prendre le large, à s’enivrer de la poésie des côtes finistériennes et d’ailleurs. Le duo guitare/violoncelle s’accorde parfaitement, et emmène les spectateurs vers une contrée très éloignée de Dávid Makó. Comme une transition insouciante avant de replonger dans les ténèbres avec Amenra.
L’heure du groupe tant attendu du soir est venue. Amenra entre en scène dans un silence pesant et comme lors de chaque concert (sauf exception), le public est muet. Pas un chuchotement ne s’envole de la foule, encore moins un râlement quelconque. Elle est confortablement assise dans la pénombre, préparée pour plonger dans les méandres de Colin H. van Eeckhout. Les membres de la formation belge entre un à un sur scène et se placent sur un prie-dieu, de façon à former un cercle, en se positionnant dos au public. Le groupe est accompagné par la violoniste Femke De Beleyr.
Le set enveloppe la salle de son long voile sombre avec « Plus près de toi », titre issu de Mass VI. Dès le premier accord, le rituel Amenra prend place et la voix de Colin, très loin de son scream habituel, s’élève avec délicatesse vers les hauteurs de la salle, vers le divin. De nombreux titres connus sont revisités et sont sublimés par les arrangements acoustiques : « Razoreater », « A Solitary Reign », « De Evenmens », « Diaken ». Ces morceaux sont bien reconnaissables mais la composition dépouillée de toute saturation et rythmique metal est empreinte de grandes douleurs ce qui nous touche plus intimement.
Derrière le groupe, une toile blanche projette des images issues à la fois de leurs clips mais aussi inédites. Des paysages hivernaux et une nature morte s’animent tendrement dans un clair/obscur qui sublime la scène toujours sobrement. Le groupe ne fait jamais dans l’excès ou la caricature.
Il y a des moments forts dans ce live. Je retiens particulièrement « To Go On And Live Without » et surtout « The Longest Night » où Colin est accompagné de la voix féminine de Femke. Elles sont étrangement fluettes, affutées, comme pour pénétrer en mon âme plus profondément. Les deux chants s’entremêlent, s’enlacent et s’envolent dans les cieux imprégnés de leurs peines. C’est un éclat torturé d’eux-mêmes qui se joue devant nous.
Et je crois que ce qui m’a touché le plus, c’est la fin du set sur « Deemoed ». Plus de chant, seules quelques notes de guitares tournent en boucle pendant près de 4 minutes. Les membres du groupe quittent un à un la scène, sans un au revoir. Comme un adieu. La musique s’estompe graduellement, et peu à peu, elle ne laissera qu’une trace infime du concert qui n’est plus qu’un souvenir et qui restera, pour ma part, longtemps en moi. La salle est plongée de nouveau dans un épais mystère, et nous restons dans les ténèbres tandis que sur la toile de fond s’inscrit une dernière phrase : « la tristesse durera toujours ».
Texte & photos : Hugo Le Beller.