Chers lecteurs, si vous aimez les albums avec des paroles intelligentes, sensées, censées vous faire réfléchir, avec des soli de guitares bien construits, des belles voix, j’ai le détestable devoir de vous annoncer que vous avez fait mauvaise pioche avec le troisième opus de Bad Tripes ! Par contre, si vous aimez un tantinet soit peu les films d’horreur, les séries B, le second degré, les univers déjantés, vous pouvez vous jeter à corps perdu dans cet album. Aux antipodes des albums de « métal féminin » cucul-la-praline, sans aucune saveur, au rendu trop entendu, trop convenu, Bad Tripes se pose en anticonformiste. Exit les belles tenues, les voix lyriques et les thèmes épiques. Le combo marseillais maîtrise à merveille son registre, oscillant entre orchestrations burlesques, vilains jeux de mots et thèmes savamment rendus horrifiques. Sous des dehors potaches se cache un album savamment construit, avec de nombreuses références cinématographiques, littéraires, voire même criminelles.
Moteur, Action ! est l’introduction très burtonienne, et on s’attend presque à entrer dans le manoir de Edward ou de tomber sur Beetlejuice. Sonorités très baroques, avec un côté « synthé cheap », mais qui donnent bien le ton. Ces petites touches se retrouvent tout le long de l’album sans être envahissantes. Fuck Me Freddy emmène tout de suite l’auditeur dans le monde bigarré de Bad Tripes. Le contraste entre les voix enfantines, la voix rauque et hurlée de Hikiko Mori est une constante dans cet album. Hansel s’aventure dans les contes merveilleux de Grimm. L’ouverture au glockenspiel donne ce petit côté mignon, mais bien vite remplacé par un arpège vocoder et des sonorités techno en boucle entêtant, et un rythme de parole assez enlevé, avec des aller-retours vocaux sympathiques. La chanson a fait l’objet d’un clip sylvestre. Elisabeth dépeint une grande actrice à la vie plutôt débridée. Baby Porn nous envoie dans l’univers des collégiennes lolitas, des mini-miss, des sucettes à l’anis. La sonorité, la tonalité rappelle furieusement Les Noces de Sang, second opus de Bad Tripes. L’introduction très cérémoniale, les paroles dépeignant le côté malsain de certains travers de notre société. L’Ogre de Barbarie poursuit le voyage dans ce côté iconoclaste, laissant Lola en victime consentante et pas forcément innocente. Les deux chansons se suivent dans un continuum, non pas musical, mais lexical assez étonnant. A noter les touches de theremin ajoutant encore à l’ambiance angoissante. Car nous sommes nombreux marque le milieu de l’album. Chanson qui flirte avec le diabolique et l’irrévérencieux, au plus grand bonheur de nos oreilles, et qui s’annonce comme un prélude. La Bouchère de Hanovre est l’une des pièces de choix de l’album, choisie également pour être l’un des clips pour cet album. Une sorte de M le Maudit au féminin à la sauce Delikatessen, s’inspirant directement de Fritz Haarmann, surnommé le Vampire ou le Boucher de Hanovre. Mention spéciale pour le clip, soigné comme toujours chez Bad Tripes. Dame Eléphant se consacre à la tératalogie et aux monstres de foires, où se côtoient joyeusement femmes à barbe, hommes-animaux sous un chapiteau. Gretel narre la suite du conte, avec une Gretel psychotique, dans un troisième clip à l’esthétique toute germanique. Mention particulière pour les paroles en allemand, renforçant le côté glauque. Les rendez-vous de la bête renoue avec un côté très Danny Elfman, festif et dérangé, au rythme joyeux, dansant. La chanson mériterait d’apparaître dans les Noces Funèbres. L’album se termine sur une note voluptueuse de boudoir empreint de lourdes notes opiacées, telle une maison close du Sombre Pigalle, dont on sait qu’on ne ressortira pas indemne.
Un style décalé mérite une musique calée et calibrée, et Bad Tripes s’en sort plutôt bien. Le rendu est homogène, aucun instrument ne prenant le pas sur les autres, le fait d’être au service du groupe se ressent en tout temps sur l’album. Le son des guitares est tel qu’on l’attend dans ce style, creusé mais pas trop, saturé sans être brouillon. Le seul regret qu’on peut néanmoins formuler à l’encontre de trop nombreuses productions actuelles est la perte de caractère des guitares. Par exemple, les riff de Hansel et de Gretel auraient mérité une sonorité les mettant plus en valeur. La basse est quant à elle bien gérée, avec un bel équilibre et une définition évitant l’écueil des basses baveuses ou des usines à gaz actives ingérables. Le jeu de batterie demeure subtil, sans exagération, capable de beaux plans rapides, de rythmes rock enlevés. Les synthés, samples sont très bien choisis et participent grandement à l’ambiance des chansons : glockenspiel pour les touches enfantines et naïves, touches orchestrales, bandonéons, theremin … le tout au service des paroles. Parfois, des incursions dans la techno se font sentir, offrant une palette assez inédite et bien trouvée. Le chant voltige entre les styles cabaret dans les chœurs, phrasés rock, et un style enfantin qu’on retrouve dans Kidnapper le Perce-Oreille de Danny Elfman. A noter aussi la recherche esthétique dans les paroles, faisant ressortir le côté volontairement dérangé et psychotique des chansons. L’ambiance de chaque chanson est bien définie, riche et homogène. Chacune est un péché capiteux, où on se surprend à se délecter de thèmes rarement abordés dans des chansons.
C’est un album empreint de créativité, qui ne se prend pas au sérieux. Bad Tripes a réussi le tour de force à être unique en son genre, en grande pompe sans être pompier. Et cela fait un bien fou.
Initialement publié le 11/02/2018
01 – Moteur, action !
02 – Fuck Me Freddy
03 – Hansel
04 – Elisabeth
05 – Baby Porn
06 – L’Ogre de Barbarie
07 – Car nous sommes nombreux
08 – La Bouchère de Hanovre
09 – Dame Eléphant
10 – Gretel
11 – les Rendez-vous de la bête
12 – Sombre Pigalle