J’ai eu le privilège, que dis-je, la mission sacrée, de filer à Paris jusqu’à La Fabrique du Moulin Rouge. Là-bas, m’attendait la tornade de la soirée, la seule, l’unique, la démesurée Delilah Bon. Oui, rien que ça, une décharge d’audace et de charisme capable de faire transpirer les plus réfractaires.
Soyons honnêtes : on n’était pas vraiment accrédités. Le service d’accréditation, visiblement en pleine sieste prolongée, n’a même pas daigné répondre à notre demande. Pas un mot, pas un mail, rien, le néant bureaucratique. Alors on a fait simple : carte bleue, billets, et en avant. Pas question de rater ce concert. Résultat, pas de photographe officiel, pas de réflexe autorisé, juste nos téléphones en mission commando, tremblant d’excitation dans la fosse.
Et là, bim. Claque intersidérale. Delilah Bon, artiste encore trop méconnue en France, alors qu’en Angleterre elle secoue déjà les consciences comme un tambour de machine à laver. Pour situer un peu : sa musique, c’est du rap qui se serait embrouillé avec du punk, aurait flirté avec le métal avant de s’enfuir main dans la main avec la pop pour aller brûler des soutiens-gorge dans un squat. Un chaos savamment orchestré. Une énergie atomique.
Ça faisait longtemps que je n’avais pas assisté à un concert “non-métal”. J’y allais détendu, pensant trouver un public poli, du genre qui applaudit avec deux doigts et boit du kombucha. Que nenni. La salle a explosé dès les premières notes. Une foule survoltée, un public punk dans l’âme, hurlant chaque parole comme un cri de guerre. Et au milieu de tout ça, Delilah, impériale, sauvage, incandescente.
Parlons du trio de musiciens qui l’accompagne, cette machine infernale à trois têtes qui carbure à l’adrénaline et à la sueur. Impossible de savoir où finit la musique et où commence la transe. Ça joue fort, ça joue juste, ça joue comme si la scène allait s’effondrer dans cinq minutes. Chacun a sa folie bien dosée, mais ensemble, c’est un seul organisme électrique, une bête à riffs et à rythmes, taillée pour retourner les tympans et réveiller les morts de la veille.
Et puis, Delilah. Cette femme est un séisme à paillettes. Chaque morceau est une déflagration, chaque parole une gifle. Elle chante, rappe, rugit, murmure, tout avec une maîtrise sidérante. Elle regarde son public comme si elle le scannait au rayon X. “Dead Men Don’t Rape” plante le décor : une artiste engagée, sans compromis, qui balance des vérités sociales à la vitesse d’une rafale. Dans la salle, 80 % de femmes, toutes en feu. On sent la sororité, la rage, la liberté.
Le concert s’est enchaîné sans pause, entre provocation, tendresse et coups de poing sonores. Mention spéciale à son hommage très… ironique à la police, accueilli par des hurlements d’extase collective. Ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti une telle énergie brute, cette fusion totale entre scène et public.
Je suis sorti de là lessivé, le cerveau en vrac et le cœur gonflé. Une claque. Une vraie. Du genre qu’on remercie. Delilah Bon mérite les plus grandes scènes, y compris les festivals métal : elle y mettrait un joyeux désordre dont le monde a besoin.
À 28 ans, elle incarne ce que la musique a de plus beau : la fureur, la sincérité, et cette douce impression qu’on peut changer le monde en criant très fort.




