Rencontre avec Jaypee-Jaypar, un petit gars du poitevin exilé dans la région lyonnaise, auteur compositeur et interprète. Après avoir tourné dans diverses formations métal en tant que guitariste, Jaypee Jaypar s’est tourné vers une musique plus acoustique, empreinte de blues, de folk, de rock; Et le virage qu’il a choisi d’opérer, ma foi, est particulièrement intéressant, en témoigne son dernier album « Meet me again ». Il y a d’abord, une voix, de celles qui vous foutent les poils dès les premières notes chantées, et puis des mélodies, souvent sombres, qui vous accrochent le cœur comme rarement.
M-L: Salut Jaypee
J-J: Salut!
M-L: Tout d’abord merci à toi de m’accorder cette petite interview. Est ce que tu peux te présenter et nous expliquer l’origine de ton nom d’artiste?
J-J: Alors tout le monde me le demande en général, et la réponse est à chaque fois un peu décevante (rires). Jaypee-Jaypar, à l’origine c’est JP-JPR, ce qui veut dire Jean-Pierre Jean-Pierre, qui est à la base mon surnom. Je trouvais ça rigolo mais comme j’en avais un peu marre, je voulais le prononcer à l’américaine pour faire comme les cow-boys (rires) et c’est donc devenu Jaypee-Jaypar.
M-L: Ouais, ça sonne bien
J-J: Ouais, c’est un peu compliqué à retenir, mais j’aime bien. (rires)
M-L: Tu te présentes?
J-J: Oui. J’aime pas trop les étiquettes et des fois c’est un peu compliqué de me mettre dans des cases. Je fais du blues, du rock, du folk, mélangé à plein d’autres trucs qui m’influencent. Je viens de la scène métal, et j’y ai été pendant très très longtemps jusqu’à ce que j’arrive à Lyon avec ma femme, ça va faire 6 ans. Ce projet artistique en solo me trottait déjà dans la tête, et le fait d’arriver à Lyon où je ne connaissais personne, aucun musicien, bah ça m’a permis de m’y mettre.
M-L: Comme tu viens de le dire, tu es un enfant du métal, et est ce que tu peux nous expliquer ton parcours musical. Et comment, en venant du métal, t’en est arrivé à faire autre chose comme de la folk, ou du blues?
J-J: C’est un parcours à l’envers en fait. Ça vient de l’enfance. Ma mère est chanteuse, auteur compositeur et interprète, elle fait de la chanson française. J’ai grandi avec les chansons de ma mère et les influences qu’elle avait (Barbara, Ferré, Brassens, Brel…) Mon père, lui, avait un côté plus rock seventies et écoutait Deep Purple, Ten Years After. Après j’ai un grand frère, métalleux, qui est ma première influence dans ce que j’ai fait musicalement. Il m’a tiré là dedans et ça a été une grande partie de ma vie en fait. J’ai 38 ans et je n’ai fait que du métal de l’adolescence jusqu’à récemment. Ça fait peut-être une dizaine d’années, en fait, que j’écoute des choses autres et en particulier des artistes Blues One-man-Band comme Bjorne Berge, Seasick Steve, William Elliot Whitmore ou encore Scott H Biram. A partir de là, j’ai ré écouté les vieux de la vieille, des type comme Howlin’Wolf, Robert Johnson ou Lead Belly. Et donc c’est venu un peu de là. J’ai commencé à enlever mes œillères, y’a peut-être 10 ou 12 ans, mais ça n’empêche pas que j’écoute toujours du métal, ça fait partie intégrante de ma culture musicale et d’ailleurs y’a encore beaucoup d’influences métal dans ce que je joue.
M-L: En 4 ans, tu as fait et auto produit 3 albums. En 2015, c’était, « On My Way », puis « Sinner » en 2016, et enfin le tout dernier, en 2018, » Meet me again ». Y’a des spécificités à chaque album?
J-J: Oui et non, c’est un parcours en fait. Pour le 1er album, je n’y connaissais rien en enregistrement, en prise de son, ou quoique ce soit d’ailleurs. J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce travail là. Entre » My Way » et « Meet me again », on voit la différence d’ailleurs ! (rires). Je ne renie pas du tout « My Way » mais à l’époque je me cherchais un peu. Ça a commencé à prendre forme avec « Sinner ». Malheureusement je travaillais à côté et faire la promo d’un album, des concerts, quand on est ambulancier, c’est juste impossible. Y’a des morceaux que je joue encore en concert, mais c’est vrai que je n’ai pas eu le plaisir de défendre cet album sur scène comme je le voulais. Pour « Meet Me Again », j’ai arrêté de bosser pour vraiment me consacrer à la musique, et là, j’y vais à fond. Dans les compos, je suis de moins en moins timide et notamment pour les textes, où je me livre de plus en plus. Sur « Meet Me Again » y’a une vraie évolution. Ça parle de sentiments, de colère, de solitude, d’amour avec notamment une chanson en français, « Dansons », que j’ai écrit pour ma femme.
M-L: C’est un peu la question que je voulais te poser. C’est quoi ce qui t’inspire dans l’écriture? Et Comment tu composes?
J-J: En général, je commence toujours par la musique et c’est celle-ci qui m’inspire les textes. « City of Lights », parle de mon expérience: Un gars de la campagne arrivé sur Lyon il y a 6 ans. En ville y’a beaucoup de stress, y’a des trucs que je ne pige pas, les choses simples paraissent compliquées ici, et vice versa sûrement. Je ne sais pas, quand j’ai composé ce titre, il devait peut être faire un sale temps, j’avais peut-être pas envie d’aller bosser, ou j’voyais des gens stressés, des bouchons sur la route…Et j’me suis dit, Bah en fait, je ne viens pas de là (rires). Ça parle d’expatriation donc, et je m’adresse à tous les gens des campagnes qui subissent le stress des grandes villes, parce qu’ils déménagent pour le boulot, par exemple, et qui ont la nostalgie du calme.
M-L: Et comment est ce que tu travailles en studio? Tu enregistres au fur et à mesure tes créations musicales, ou tu conceptualise déjà l’album avant de l’enregistrer ?
J-J: Ça a évolué. Au début, pour « On my Way » c’était: Bon bah, j’ai 10 morceaux, et j’enregistre. Pour « Meet me Again », je me suis posé la question: Qu’est ce que je veux dire dans cet album? Je voulais un fil conducteur, et là, en l’occurrence, ce sont les sentiments, comme on l’a dit tout à l’heure. Après j’ai pas de concept d’album préétabli. J’enregistre tous les titres, je ne garde pas tout par contre. Pis y’a aussi le fait de les jouer en concert qui fait que les morceaux évoluent aussi. J’les fait mûrir comme du bon vin, et je les ouvre quand ils sont au top, quoi.
M-L: C’est délibéré cette forme de solitude, que cela soit dans la composition, la conception de tes albums, et la scène, même? Tu t’es déjà posé la question du « pourquoi être seul » dans ta démarche artistique?
J-J: Oui et c’est assez marrant d’ailleurs. Avant, quand j’étais sur Poitiers, j’faisais du métal avec des mecs que je connaissais depuis qu’on était gamins. Et notamment avec Baboo, le chanteur de Crawling, c’est mon pote d’enfance. Arrivé sur Lyon, bah, je ne connaissais personne et j’avais pas envie de monter un groupe avec des gens que je ne connaissais pas, passer des auditions, tout ça. Ça me faisait un peu peur en fait. Et étonnamment, j’ai découvert, alors que je suis très sociable, beaucoup de plaisir à travailler dans la solitude. Ça m’a apporté beaucoup de choses que je n’imaginais pas. Après rien ne dit que je ferai toujours de la musique tout seul. Parfois j’ai des idées, des choses qui me font dire que oui, j’aimerai bien jouer avec des gens. On verra, on en reparlera.
M-L: Comment ça se passe avec le public? C’est un truc très intimiste que d’être seul sur scène. Comment tu gères cette intimité dans les échanges avec celui-ci?
J-J: Au début, c’était spécial parce que quand j’ai commencé ce projet, j’avais 34 ans quand je suis monté seul sur scène. C’est assez impressionnant en fait, un peu flippant. J’imaginais dans ma tête pendant des semaines et des semaines, comment cela allait se passer et bien sûr, ça ne s’est absolument pas passé comme je l’imaginais! (rires). Au fur et à mesure, on prend confiance en soi et récemment, à la Farladoise (Chazelles-Sur-Lyon), j’ai fait exactement le concert que j’avais imaginé dans ma tête, avec le public qui réagissait comme je l’avais imaginé. C’est génial, j’adore! (rires)
M-L: C’est pour cela que tu fais également quelques reprises, parce que j’imagine qu’en face d’un public qui ne te connais pas forcement, ça peut être aidant, non ?
J-J: Les reprises que je faisais sur les albums, c’était plus des hommages et des clins d’œil à mes influences, que cela soit la reprise d’ « Electric Worried » de Clutch ou d’ « Ace of Spade » de Motörhead. Au final, c’est vrai que les reprises en concert ça marche plutôt bien, ça met l’ambiance tout de suite, mais j’essaye avant tout de défendre mes morceaux.
M-L: Tu as une voix très grave,profonde assez étonnante, avec parfois même des petites cassures quand tu chantes et qui font que sur certains titres, , y’a une dimension émotionnelle particulière. On retrouve ça chez des gars comme Johnny Cash par exemple. C’est quelque chose de conscient chez toi avec lequel tu peux jouer?
J-J: Je vois ce que tu veux dire. Ça vient essentiellement de mes influences, je crois. J’ai pas envie d’être catégorisé dans que du blues, que de la folk, ou que du rock par exemple. Toutes mes influences me conduisent à qui je suis, et c’est probablement de là que proviennent les petites cassures dont tu parles et qui font ma particularité je pense. Je suis un enfant du métal, oui je veux faire du blues, mais faire 12 mesures, ça m’emmerde en fait. J’ai envie de faire autre chose et ce qu’il y a dans ma tête, ça va de Wagner à Napalm Death, donc effectivement, ça tire dans tous les sens et j’essaye de trouver le juste équilibre dans tout ça.
M-L: Ah oui, je trouve que parfois ça sonne même Dark Country, parfois même y’a une dimension Cramps, avec une voix autre bien sûr, c’est vraiment intéressant.
J-J: Bah dans mes influences cachées, parce que, oui, j’ai des influences cachées (rires) qui ne s’entendent pas forcement dans ce que je fais, y’a Pink Floyd, Thiéfaine, Ferré, Chopin…C’est autant d’artistes dont je m’inspire mais ça ne va pas forcement transpirer dans mes morceaux.
M-L: Tom Waits aussi?
J-J: C’est une de mes grosses influences, je plaide coupable (rires)
M-L: Comment on accède à tes albums, si les p’tits gars et les meufs de Mad Breizh sont intéressé-es?
J-J: Ce que je préconise toujours, c’est de passer directement du producteur au consommateur! Venez me voir en concert, et en plus on pourra discuter, sinon, y’a Bandcamp où on peut commander les albums physiques, pis j’les envoie, y’a pas de soucis. Autrement, je suis distribué par Socadisc, donc trouvable et commandable chez n’importe quel disquaire.
M-L: C’est quoi tes projets là? (rires)
J-J: J’en ai plein! Je continue toujours à composer, parce que « Meet Me Again », ça commence à dater un petit peu. J aimerai bien enregistrer au Texas. Joerg Luedick, le gars qui a fait mon mastering vit là-bas et ça me dirait bien en fait d’y aller pour bosser avec lui.
M-L: T’as un message à passer aux lecteurs et lectrices de Mad Breizh?
J-J: Surtout, continuez à aller voir des concerts, des artistes émergents, des mecs du coin, parce que les réseaux sociaux, c’est bien gentil, mais la musique elle existe pour les concerts. C’est là où on partage le plus de choses, c’est ce qui fait vivre les artistes. Allez-y le plus possible!