Mon premier réflexe lors de la découverte d’un nouvel album est de l’écouter. Jusque là, rien de surprenant. Mais, en parallèle, je cherche aussi à connaître le groupe. Or, en tapant le mot « erebe », que dans ma tête je prononce « érébé », je tombe né à né avec une définition qui m’interpelle : Érèbe – c’est en fait la bonne prononciation semble-t-il – est une divinité née tout droit du Chaos qui selon la mythologie grecque, personnifie les Enfers. Rien que ça !
Pour ce qui est du groupe de musique, Erebe (laissons les accents dans le doute) nous gratifie d’un premier album d’une franche complexité. En effet, le quintet français propose un post-metal progressif dans un album, Aeon, aux intrications musicales multiples. La signification du titre en elle-même est une épopée ! « Destinée », « génération » ou « éternité », le sens exact retenu pour métaphoriser l’ambiance de cette galette pourra être choisi à votre guise, tellement les sujets abordés sont divers.
Les sept titres, cumulant 40 minutes, sont en effet le marchepied qui nous permet d’élever un peu plus haut nos esprits et notre auto-prospection, d’abord par sa musique. L’intro nommée Structures débute avec ce côté cérémonieux : tempo ras des pâquerettes, plusieurs voix en chœur dans un chant envoûtant. Et déjà les destructures rythmiques et les diversités de réglages entre les grattes s’immiscent dans le son. Ce chaos maîtrisé se confirme ensuite dans Drowned, titre clairement progressif avec les codes qu’on lui connaît. Le morceau raconte l’acceptation de la mort imminente d’un homme qui succombe dans le gel. Il est donc beaucoup question dans cet opus de destinée et finalement d’auto-réflexion de l’homme sur sa condition.
Par le passé comme aujourd’hui, les Hommes se sont bien souvent inspirés de leurs aînés et les citations antiques sont encore aujourd’hui utiles pour commenter les aléas de nos vies. Nos amis d’Erebe ne sont pas allés chercher jusque Capulle, philosophe romain ne voyant que trop souvent son verre à moitié vide, mais leurs inspirations sont diverses tel un roman de Jack London ou une œuvre d’Olafur Eliassons. Cette richesse textuelle est à la hauteur de l’abondance instrumentale qui ne trouve aucun repos tout au long de l’album. Cette touche expérimentale autorise l’apport de cuivres et de synthétiseurs, le tout en contrepoints rigoureux. Alors, je vous arrête tout de suite, le contrepoint n’est pas une façon de recoudre ses chaussettes metal préférées mais une technique d’écriture qui vise à superposer des mélodies différentes. Donc le cuivre ne fait rien comme la guitare mais c’est fait exprès et c’est joli. Un mauvais contrepoint amène une musique décousue, mais il n’y a rien à voir avec la couture, je vous assure. De plus, ici, tout est maîtrisé.
Tant que je suis dans le thème de la complexité, voyons l’enchaînement des tubes. Car en passant d’un metal progressif en début d’album, pour déboucher sur une pure expérimentation hors de toute catégorisation, Erebe fait déjà fort. Mais à l’image de nos propres réflexions pesant souvent le pour et le contre, les titres d’Aeon s’apprécient par couples. En effet, Drowned (N°2) et Solid Sky(N°3) s’axent sur la mortalité. Alors que, comme nous l’avons vu, Drowned illustre l’acceptation de la mort, Solid Sky appelle à se débarrasser d’elle ; abandonner les douleurs liées à la perte. Le sujet est si vaste et le texte de référence si prolifique que Sun Leak (N°5) va offrir une continuité à Solid Sky, comme si la première durant pourtant 5 minutes, méritait une prolongation.
Entretemps, Replicate (N°4) nous interroge sur la condition d’Homme moderne, ayant malgré lui rejeté ses origines et sa nature pour devenir l’instrument déshumanisé du travail répétitif. Sur ce titre, je trouve d’ailleurs la musique moins déstructurée, plus rythmique. Comme pour conforter notre subconscient dans le rythme à la chaîne qui nourrit déjà nos journées. Heureusement, Into The Earth (N°6) contrebalance le thème en imageant plutôt le retour à la nature, la paix intérieure, la fin du rythme moderne. Et pour accompagner ces paroles, la double voix Hugo Lavesque / Max Malingre et les rythmiques plus dynamiques et complexes ajoutent au sentiment de bataille intérieure.
Pour conclure l’album, dix bonnes minutes de The Collector (N°7) s’attardent sur un son lourd, entrecoupés de pauses mélodiques. Avec les râles puissants du guest Luc Lemay (Gorguts), Cet outro apocalyptique fait écho aux paroles du tout premier, Structures.
Tout est lié vous disais-je.
Finalement, comme pour tout opus sortant des sentiers battus, la première écoute perturbe nécessairement. Il faut y prêter une attention particulière afin d’en détecter et apprécier toutes les couches harmonieuses de pistes qui s’y accumulent et s’entremêlent. Labellisé avec les suédois de Silent Future Recordings, Aeon fait sa sortie le 22 avril.