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Fondu de lecture

Bonne résolution 2024, et peut-être même la seule, je m’attèle à mes retards. La vôtre pourrait être de vous intéresser à cette œuvre inédite, loufoque et addictive.

Dans l’univers musical, la construction de chansons est affaire de composition et d’écriture. Bien m’en a pris de croiser la destinée multicanale d’un chanteur qui est également auteur. Ainsi, laissons ponctuellement de côté albums et reportages pour s’intéresser à une série de polars déjantés, rythmés,…, et nutri score A qui plus est !

Le porte poireau ? Heckle Freux.

Quel étrange pseudonyme littéraire. Mais tout est question d’histoire, de vécu, de copinage inattendu. La sienne débute en classes préparatoires où un journal étudiant va naître en même temps qu’une amitié, une passion pour l’écriture et bien entendu, la découverte du rock et du metal. Étudiants encore omnivores, l’idée d’éditer un recueil périodique d’articles possiblement dérangeants sur l’école même où ils étudient peut s’avérer quelque peu houleux. L’anonymat conduira nos deux compères à se nommer Heckle Freux et Jeckle Freux. Quitte à jouer les corbeaux, autant le faire à bloc.

Partie première (sur actuellement deux des bientôt trois)

Ce fulgurant début de carrière explique certainement ce titre de roman : L’affaire du poireau vinaigrette. Il est le premier opus d’une trilogie impaire de deux polars.

Dans ce livre, il y a deux personnages, deux histoires, deux tons, deux rythmes. A sa lecture, concentré et diverti, intrigué et amusé, on ressent le tempo musical. Les chapitres sont courts, tels les couplets de tubes endiablés. Le style de point de vue interne (nous sommes dans la tête des personnages) est un choix idéal pour la composition de l’intrigue. En effet, sans le préciser, l’auteur nous fait immédiatement comprendre quelles pensées nous lisons.

De son tempo psychédélique, Sam le Fantôme est un tueur. Monsieur Levi, cambre de ses lunettes mordillé avec l’air grave, pourrait le décrire alexithymique. Lui dirait plutôt « génial ». Son esprit fuse, sans émotion. C’est une machine de guerre méticuleuse qui peut observer sa proie pendant des semaines ! A peine 18 mois que sa petite annonce est en ligne et déjà un client ! Ou « Déjà un coup de maître » se congratule le tueur.

De l’autre Christophe. Une vie moyenne, une humeur moyenne, une passion pour la musique ? Pas sûr. Pour les posters de Jean-Jacques Goldman, au moins. Il est réservé et sensible. Serait-il atteint en outre d’une forme modérée de nullopathie ?

Le génie de ce bouquin est de transposer continuellement humour, noirceur, quiproquos et poireaux dans des phrases alambiquées parfum vinaigrette. Il ne s’agit pas de songer qu’un chanteur au dégarnissement capillaire génialement naturel pose ses pensées tortionnaires à coup de verve standard dans un style au pochoir de ses prédécesseurs. Que nenni. Le bougre distille un vocabulaire tout puissant qui s’écoule dans le serpentin du rythme et de l’humour. Le tout agrémenté de références cachées, plus ou moins, à des paroles de tubes internationaux, plus ou moins, ou de répliques incontournables de films cultes. Ca dépend des goûts de chacun mais oui, plus ou moins.

Je ne résiste pas à ce petit extrait, essorage ponctuel de la pensée de notre tueur, fin psychologue en auto-analyse : « La Grâce de mon processus de création confine au miracle : je n’ai pas de signature. Je n’ai pas mon style. Non. Pas moi. Mieux. Ma nature cérébrale s’impose à la réinvention perpétuelle et infinie. Mon art n’est qu’un alignement improbable d’œuvres uniques. Je suis un et multiple à la fois. »

Sans en divulguer la fin sauvage et légumineuse, il me faut parler du second roman qui, tel une frise historique jonchée de surprises et de rebondissements, comme par hasard, prend vie dans un futur proche du premier roman.

Partie deuxième (sur bientôt trois vous disais-je)

Poireaux & Châtiments voit le jour lorsque Bob construit l’obscurité. Bob ? C’est le démon issu de Sam le Fantôme. Il a évolué, selon ses dires. Il est un professionnel, selon ses dires. Et cette fois-ci, c’est au frère de Christophe, François-Xavier, athlétique facteur à la vie bien rangée et insipide, qu’il va avoir affaire.

Le paisible quidam devient le chasseur de tête, le justicier imperturbable de la vengeance familiale, dressé sur son VPH (Véhicule à Propulsion Humaine) et arpentant tant bien que mal une région qu’il ne lui est que peu connue.

Ce deuxième opus, sorti en mai 2023, est comme toute suite réussie. On apprend sur le passé pour comprendre le présent sans capacité à imaginer le futur. Les fils rouges de style, de références, d’humour y sont améliorés. Les personnages évoluent, entremis de nouveaux qui amènent une profondeur supplémentaire. Une tridimension. Un hologramme projeté par des mots tapuscrits.

En effet le polar se drape d’une ambiance plus noire, plus sordide dans le quotidien des personnages tout en proposant un humour rehaussé. L’ampli a été calé sur 11 ! La musique y est encore plus présente jusqu’à la création pure et simple d’un lieu de culte distributeur de boissons estampillé du sacro-saint Hellfest. Vous y découvrirez le décénal band Electric Beans, dont la voix émerge de la bouche même de notre auteur. (Multicanal, vous disais-je !) Bob en dit que « Je réfléchis depuis à peine deux heures[…]. Mais ça y est, j’ai compris. J’ai enfin mis le doigt sur la probable réalité : une secte[…]. C’est la version évoluée de la mafia. L’ultime transformation du crime. Un spécimen abouti, où les hommes de main deviennent des adorateurs gratuits. ».

Et encore, je ne vous narrerai pas ses conclusions mûrement construites sur ce H géant que tous ces activistes de bar semblent aduler.

Ce bouquin, majeur, montre que Heckle a pris de l’assurance. Il a osé creuser plus profondément dans les coursives imaginatives et ahurissantes des ses pensées. Il a cherché encore plus de références, de jeux de mots, de vocabulaire. Le premier essai a été transformé. Ça passe, ça ne casse pas. Fonce petit bolide, a-t-il dû se marmonner longuement.

Heckle est un ovni qui nous apprend son langage. Pour le plagier un poil, je conclue par cette opinion : C’est un Poireau Flingueur. Avec lui, la lecture est un sport. Il s’agit de transpirer pour trouver dans votre bibliothèque l’emplacement logique de l’y fourrer ! En tout cas, échauffez vous bien les zygomatiques avant de prendre place dans votre canapé.

L’affaire du Poireau Vinaigrette et Poireaux & Châtiments, aux éditions Nombre 7.